Conventions fiscales internationales – Modernisation de la Convention fiscale franco-suisse sur les revenus et sur la fortune

Revue de Droit Fiscal – Juillet 2024
Alain Moreau

L’avenant à la Convention franco-suisse signé le 27 juin 2023, actuellement en cours de ratification par la France, intègre un nouveau régime de répartition du droit d’imposer les revenus d’un salarié en situation de télétravail. Cet avenant introduit par ailleurs les derniers standards internationaux développés par l’OCDE dans le cadre de la réglementation BEPS.

Sénat, Projet de loi n° 706, 26 juin 2024, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée. Alors que les discussions entre la France et la Suisse semblent être définitivement au point mort concernant les négociations relatives à une nouvelle Convention fiscale en matière de succession (Rép. min. AN, n° 12188, 4 juin 2024), la France entame le processus de ratification du dernier avenant à la Convention fiscale franco-suisse en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune.

L’avenant à la Convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966, signé le 27 juin 2023, a été présenté devant le Sénat le 26 juin dernier pour approbation. Le présent avenant a pour objectifs de créer un nouveau régime d’imposition des revenus en matière de télétravail ainsi que d’intégrer dans la convention les derniers standards internationaux développés par l’OCDE dans le cadre du projet de lutte contre l’érosion des bases d’imposition et les transferts de bénéfices (BEPS).

1. Création d’un régime spécifique d’imposition des rémunérations perçues au titre d’un emploi salarié exercé en télétravail

La France et la Suisse, du fait de leur proximité géographique, culturelle et économique, entretiennent des relations particulièrement étroites. À ce titre, la première communauté française à l’étranger est en Suisse (170 000 personnes) et la première communauté suisse à l’étranger (200 000 personnes) est en France !

En matière de revenus d’emploi, la rédaction actuelle de l’article 17 de la Convention fiscale stipule que : « les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État ».

La règle de l’imposition exclusive dans l’État de résidence s’applique néanmoins aux rémunérations des travailleurs frontaliers couverts par l’accord du 11 avril 1983 conclu entre la France et huit cantons suisses (à savoir Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura). Les frontaliers travaillant dans les dix-huit autres cantons suisses, et notamment le canton de Genève, sont, eux, soumis exclusivement aux stipulations de la Convention fiscale de 1966 amendée.

Avant la pandémie de Covid-19, les travailleurs frontaliers pouvaient télétravailler à hauteur de 25 % de leur activité sans impact sur le lieu d’imposition de leur rémunération.

Pendant la pandémie, face à l’urgence de la situation, la France et la Suisse ont signé le 13 mai 2020 un accord amiable temporaire en vue de déroger aux règles en vigueur. Ce régime fiscal et social dérogatoire a pris fin en matière fiscale le 31 décembre 2022, aussi bien pour les travailleurs frontaliers relevant de l’accord de 1983 que pour ceux relevant de la Convention fiscale de 1966.

Concernant les travailleurs frontaliers relevant de l’accord de 1983, il a été convenu que l’exercice du télétravail, dans la limite de 40 % du temps de travail annuel, ne remettait en cause ni le statut de frontalier, ni les règles d’imposition à la résidence des revenus d’activité salariée qui en découlent. Ces règles sont précisées dans un accord amiable conclu le 22 décembre 2022 concernant les dispositions applicables aux salaires, traitements et autres rémunérations similaires.

Concernant les travailleurs qui relèvent des règles définies par la Convention fiscale de 1966, l’avenant signé le 27 juin 2023 instaure, sous le paragraphe 5 de l’article 17 de la Convention, un régime fiscal pérenne pour l’emploi salarié exercé en télétravail, prenant la forme d’un nouveau Protocole additionnel à la Convention.

Aux termes de ce protocole additionnel, il est stipulé que « les activités exercées en télétravail depuis l’État de résidence du salarié pour le compte d’un employeur situé dans l’autre État contractant sont considérées effectuées auprès de cet employeur dans cet autre État dans la limite de 40 % du temps de travail par année civile ».

Le protocole additionnel prévoit des règles de compensation budgétaire entre la France et la Suisse sur lesquelles nous ne nous attarderons pas.

Le protocole additionnel définit l’expression « activité exercées en télétravail depuis l’État de résidence » comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié dans son État de résidence, à distance et en dehors des locaux de l’employeur, pour le compte de celui-ci, conformément aux dispositions contractuelles liant l’employé et l’employeur, en utilisant les technologies de l’information et de la communication. Cette expression inclut également les missions temporaires exercées par le salarié pour le compte de cet employeur dans l’État de résidence ou dans un État tiers, pour autant que leur durée cumulée n’excède pas dix jours par année ».

Afin de permettre le contrôle par les Autorités françaises et suisses des nouvelles modalités d’imposition des salariés exerçant en télétravail, un nouvel article 28 ter est ajouté à la Convention de 1966. Cet article prévoit un dispositif d’échange automatique de renseignements entre administrations fiscales portant sur les données relatives à l’imposition des revenus issus du télétravail.

L’administration fiscale de l’État où se trouve l’employeur doit transmettre chaque année à l’administration fiscale de l’État de résidence du salarié les renseignements suivants (en plus d’une identification précise du contribuable) :

  • le nombre de jours ou le pourcentage de télétravail ;
  • le montant de la masse totale des rémunérations brutes versées.

L’avenant à la Convention de 1966 précise que le nouvel article 28 ter instaurant un dispositif d’échange d’informations trouvera à s’appliquer également aux revenus couverts par l’accord du 11 avril 1983 relatif à l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers, alors même que ces derniers ne sont pas concernés, par ailleurs, par les stipulations conventionnelles.

Enfin, l’avenant prévoit que les règles relatives à l’exercice du télétravail s’appliquent à compter du 1er janvier 2023, sous réserve de l’accomplissement des procédures de droit interne de ratification des deux États contractants, soit par définition au plus tôt sur l’année fiscale 2024.

2. Intégration des derniers standards internationaux développés par l’OCDE dans le cadre de la réglementation BEPS

L’avenant à la Convention de 1966 introduit dans la Convention les derniers standards minimaux obligatoires et les clauses optionnelles retenues par la France et la Suisse de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion des bases d’impositions et les transferts de bénéfices.

L’actuel préambule de la Convention franco-suisse est ainsi remplacé par un Préambule stipulant que :

Le Président de la République française et le Conseil fédéral de la Confédération suisse,

Soucieux de promouvoir leurs relations économiques et d’améliorer leur coopération en matière fiscale,

Entendant conclure une convention pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune sans créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite par l’évasion ou la fraude fiscale (y compris par des mécanismes de chalandage fiscal destinés à obtenir les allégements prévus dans la présente convention au bénéfice indirect de résidents d’États tiers),

Sont convenus ce qui suit :

Dans le même esprit, un nouvel article 29 bis est ajouté à la Convention stipulant : « Un avantage au titre de celle-ci ne sera pas accordé au titre d’un élément de revenu ou de fortune s’il est raisonnable de conclure, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, que l’octroi de cet avantage était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l’obtenir, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage dans ces circonstances serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la présente convention ».

L’avenant à la Convention de 1966 ajoute un nouveau paragraphe au protocole additionnel de la Convention qui a pour objet de ne pas entraver les États contractants dans la mise en œuvre des règles de droit interne relatives à l’imposition minimale des groupes d’entreprises (au taux de 15 %), prises en application des règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition (« Pilier 2 ») élaborées par l’OCDE (V. not.Dr. fisc. 2024, n° 15, étude 220).

3. Mesures d’ajustements à caractères techniques de la Convention de 1966

Dans le cadre de l’avenant présenté devant le Sénat le 26 juin dernier pour approbation, figurent enfin deux mesures techniques destinées à fluidifier et simplifier la situation des contribuables dans un contexte transfrontalier franco-suisse.

La première mesure crée un mécanisme d’ajustement corrélatif qui permet d’éliminer la double imposition susceptible de résulter de la mise en œuvre des règles applicables en matière de prix de transferts entre entreprises associées.

Dans la même logique de règlement amiable des différends entre États, l’article 27 de la Convention de 1966 est modifié afin d’élargir les possibilités offertes aux contribuables de saisir les Autorités compétentes de leur situation, ceci indépendamment des recours prévus par ailleurs par le droit interne des États contractants. Le règlement par voie d’accord amiable entre les Autorités compétentes en cas de difficultés rencontrées est, par ailleurs, étendu aux doutes qui peuvent résulter de l’interprétation ou de l’application de la Convention.

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