Le churning (ou barattage en français) consiste pour le gérant de fortune à réinvestir fréquemment et à un rythme inapproprié les avoirs confiés, dans le but d’augmenter sa rémunération variable liée au volume des transactions, et cela de manière contraire à l’intérêt du client. Un tel comportement viole le devoir de protection que le mandataire doit au mandant. Il est par ailleurs constitutif de l’infraction pénale de gestion déloyale et est contraire aux obligations prudentielles du gérant de fortune.
En droit privé, le churning n’est pas un terme défini et la question de savoir dans quelles situations un gérant de fortune adopte un comportement constitutif de churning dépend de plusieurs facteurs. La pierre angulaire est toutefois – mais pas uniquement – celle du conflit d’intérêts.
Du point de vue réglementaire, le churning est prohibé par l’article 27 lettre a de l’Ordonnance sur les services financiers qui se réfère au comportement qui consiste à « restructurer des dépôts de clients sans que ceux-ci y aient un intérêt économique. » Cette disposition s’inscrit dans le chapitre lié à la gestion des conflits d’intérêts entre ceux du prestataire de services financiers et ceux du client.
En droit pénal, l’infraction de gestion déloyale peut être retenue en raison du fait que le gérant, qui est tenu de protéger les intérêts du client, y porte atteinte (en général à son bénéfice). Il est important de souligner que même lorsque les opérations trop nombreuses trouvent une justification, en raison par exemple de la volatilité des marchés, l’infraction peut être consommée. Dans de telles circonstances, le Tribunal fédéral retenait dans un arrêt de 2014 que le gérant de fortune n’avait pas adapté son système de commissionnement aux conditions de marché, ce qui « entrainait des commissions excessives et empêchait donc pratiquement toute fructification du capital. »
Si des jurisprudences plus anciennes donnent quelques pistes de détermination d’un comportement constitutif de churning, un arrêt du Tribunal fédéral de 2024 vient apporter des éléments objectifs tirés de la jurisprudence américaine. Ces derniers doivent toutefois être appréciés non pas comme des éléments constitutifs du churning mais comme des indices d’un tel comportement pathologique. Dans l’arrêt de 2024, rendu dans le contexte d’une affaire pénale, le Tribunal fédéral s’est référé à trois indices qui permettent de vérifier si un comportement répond à la qualification de churning. La jurisprudence précise bien que ces indices ont une valeur indicative tant il est vrai que de nombreux éléments liés à la nature du mandat qui lie le gérant de fortune à son client peuvent influer la pertinence et la fréquence des transactions opérées, en particulier la stratégie de placement convenue avec le client. Toutefois, plus les taux et ratios pertinents dans un cas d’espèce s’éloignent d’une certaine norme, plus le juge aura tendance à considérer qu’une gestion donnée présente les caractéristiques du churning.
Le monitoring des Turn-Over-Rate et Cost-to-Equity-Ratio s’impose au gérant de fortune pour éviter les conséquences civiles, pénales et prudentielles qui découlent de la qualification de churning.
Le premier indice est le taux de rotation ou Turn-Over-Rate (TOR). Il désigne la fréquence des transactions par rapport aux actifs sous gestion. Il est déterminé en divisant la valeur totale des opérations par la valeur moyenne du portefeuille sur une même période, annuelle lorsque la relation a duré en tous cas un an. Dans le cadre d’une stratégie de placement conservatrice, un Turn-Over-Rate annualisé de 2 peut étayer l’hypothèse de churning, de 4 le laisse supposer et de 6 fonde le soupçon d’un remaniement excessif du portefeuille. Ainsi, un Turn-Over-Rate annualisé supérieur à 6 est généralement un indice décisif d’une activité de churning. Toutefois, et la jurisprudence le précise également, un taux plus faible peut constituer un indice sérieux de churning dans un portefeuille conservateur et un taux plus élevé peut être admis dans le cadre d’une gestion spéculative.
Le second indice est le Cost-to-Equity-Ratio (ou break-even-ratio) qui correspond au rapport entre lecoût annuel de la gestion et la valeur nette moyenne des actifs. Le test permet de déterminer le rendement nécessaire du portefeuille pour réaliser un bénéfice (breakeven), compte tenu des coûts. Il est déterminé par la division du total des frais liés au portefeuille par la valeur moyenne des actifs nets. Un Cost-to-Equity-Ratio de 4 peut étayer une hypothèse de churning pour une gestion conservatrice, un ratio de 8 le laisse supposer et un ratio de 12 permet de conclure à un soupçon fondé de churning. Dès lors, un Cost-to-Equity-Ratio supérieur à 12 est généralement l’indicateur de churning. À l’instar de ce qui prévaut pour le Turn-Over-Rate, les ratios admissibles dans le cadre d’une gestion spéculative peuvent être plus élevés.
Un troisième indice, utilisé en cas d’opérations à terme mais non en cas d’opérations surtitres, est le Commission-to-Equity-Ratio qui analyse le rapport entre le coût et l’actif immobilisé moyen sur toute la période de négoce. Il se calcule en additionnant le total des frais liés aux transactions que l’on divise par le capital initialement investi. Pour éviter la qualification de churning, le Commission-to-Equity-Ratio ne devrait pas dépasser 11,8%. La jurisprudence qualifie toutefois cet indice de secondaire.
Les développements jurisprudentiels qui précèdent peuvent offrir aux gérants de fortune un outil de gestion des risques leur permettant un contrôle de leur activité. La portée des indices retenus par la jurisprudence peut paraître limitée. D’une part, les valeurs définies dans la jurisprudence l’ont été dans le cadre d’une stratégie de placement conservatrice et les indices n’ont pas été chiffrés pour d’autres stratégies de placement. D’autre part, la jurisprudence précise qu’il ne s’agit que d’indices qui permettent, lorsqu’ils sont mis en relation les uns avec les autres cumulativement ou parfois alternativement et après évaluation des circonstances concrètes du cas d’espèce, de conclure à une activité de churning, de sorte qu’ils laissent la place à un certain pouvoir d’appréciation de l’autorité. Cela étant, ces développements pourraient amener tant les plaideurs que les autorités judiciaires et de poursuite pénale ou le régulateur à se raccrocher à des éléments objectifs, relativement simples à établir, pour étayer leurs griefs.
Si les taux limites risquent d’être atteints, le gérant de fortune devra réévaluer la pertinence des opérations et se poser la question de savoir si sa gestion est bien adaptée aux coûts qu’elle engendre, quelles que soient les conditions de marché. Si tel n’est pas le cas, il est attendu du gérant de fortune qu’il adapte sa rémunération de manière à ne pas rendre toute performance du portefeuille inatteignable.
En conclusion, le monitoring des Turn-Over-Rate et Cost-to-Equity-Ratio s’impose au gérant de fortune pour éviter les conséquences civiles, pénales et prudentielles qui découlent de la qualification de churning.