L’arrêt du 26 juillet 2019 (Administration fédérale des contributions c/ UBS Suisse SA) vient d’être publié sur le site du Tribunal Fédéral. Sa lecture est instructive à plus d’un point, compte tenu principalement des nombreux arguments développés par UBS en faveur d’une non-communication des données bancaires au fisc français (DGFP), arguments rejetés un à un par le Tribunal Fédéral dans cet arrêt particulièrement dense. Cette publication lance également la phase active de communication des données par l’AFC, selon une procédure bien précise que nous rappellerons plus loin. Il est néanmoins toujours temps pour les contribuables français figurant sur les listes visées de déclarer leurs comptes auprès de l’administration fiscale française dans des conditions encore favorables.
Que nous dit en substance le Tribunal Fédéral ?
Rappelons tout d’abord que la DGFP sollicitait de l’AFC la communication de plus de 40’000 comptes bancaires de détenteurs présumés résidents français, mais dont elle ignorait l’identité.
UBS s’était opposée à cette demande en invoquant en particulier qu’il s’agissait d’une pêche aux renseignements prohibée (« fishing expedition »). Le Tribunal Fédéral considère au contraire que la demande de la France relève plutôt d’une « demande collective », dès lors que les personnes concernées peuvent être identifiées individuellement sur la base des listes communiquées en utilisant les numéros de comptes et autres numéros de banque connus. Le Tribunal note au surplus que la demande d’assistance administrative de la DGFP contient des soupçons suffisamment concrets de comportement des détenteurs de comptes contraire au droit fiscal. Les informations demandées satisfont enfin à « l’exigence de pertinence vraisemblable » visée à l’article 28 al 1 de la Convention franco-suisse.
La demande de la France ne peut pas non plus être qualifiée de demande groupée selon le Tribunal Fédéral. En effet, dans une demande groupée, l’Etat requérant doit se fonder sur le comportement identique d’un groupe de personnes, sans qu’une caractéristique individuelle – telle qu’un numéro de compte bancaire – ne soit connue. La conséquence pratique de cette position est l’autorisation donnée à l’AFC de communiquer à la France la documentation à compter du 1er janvier 2010, et non du 1er février 2013, s’il s’était agi d’une demande groupée.
Quelle devrait être maintenant la position de l’AFC ?
Pour pouvoir transmettre les données à la DGFP, l’AFC doit nécessairement rendre une décision finale pour chaque contribuable visé (seuls huit dossiers sur les 40’000 ont fait l’objet de cette procédure) ou obtenir de la personne concernée son consentement écrit à la transmission des renseignements à la France. L’AFC devrait être en mesure de rendre ses premières décisions dès le début de l’année 2020.
Tant que l’AFC n’a pas rendu de décision finale, toute personne concernée peut désigner un représentant autorisé en Suisse, lequel devrait pouvoir accéder au dossier de procédure, et, le cas échéant, débattre avec l’AFC des spécificités du cas. Suite à cette analyse, elle choisira l’option du consentement à la transmission des informations selon la procédure simplifiée ou, au contraire, requerra de l’AFC qu’elle rende une décision finale, susceptible de recours.
Toute décision finale de l’AFC sera notifiée à la personne concernée, soit auprès d’un représentant en Suisse si le contribuable français en a désigné un, soit par publication officielle dans la Feuille fédérale, vraisemblablement sous forme collective. En revanche, il semble exclu que l’AFC procède à une notification individuelle en France par voie postale.
La décision individuelle de l’AFC est susceptible de recours (avec effet suspensif), dans un délai de 30 jours. En tout état de cause, les informations qui seront communiquées par l’AFC à la DGFP se limiteront à l’identité, la date de naissance et l’adresse du titulaire du compte et/ou de l’ayant droit économique (ADE) ainsi qu’au solde du compte au 1 er janvier des années 2010 à 2015.
Il est fort probable que la DGFP adresse à l’AFC – dans un second temps – de nouvelles demandes d’assistance administrative pour compléter les données reçues dans des dossiers spécifiques, notamment en sollicitant la transmission de l’ensemble de la documentation bancaire relative à un/des compte(s) ouvert(s) auprès d’UBS à compter du 1er janvier 2010.
Quelles suites envisageables en France ?
Au vu du nombre de contribuables visés, la situation est inédite pour les Services centraux de l’administration fiscale et des incertitudes existent sur les modalités organisationnelles susceptibles d’être mises en oeuvre. Compte tenu de notre connaissance des rouages de l’administration fiscale française, voici le processus que nous anticipons pour l’année 2020.
Selon toute vraisemblance, le fisc français procédera à un traitement individualisé des données reçues de l’AFC, puis, après une première analyse, adressera aux contribuables un courrier personnel les invitant à régulariser leur situation, faute de quoi une vérification fiscale sera initiée contre eux. L’envoi de ce premier courrier marque le début de la procédure contentieuse en matière fiscale ; dès la réception de cet envoi, toute régularisation perd son caractère spontané, avec des conséquences financières pouvant être spoliatrices et, potentiellement, des suites pénales. Une régularisation spontanée – c’est-à-dire avant toute réception par le contribuable d’un acte administratif individuel – permet de limiter les conséquences les plus préjudiciables.
Rappelons que les données appelées à être transmises par la Suisse portent sur les années 2010 à 2015 ; le fisc français étendra vraisemblablement son contrôle aux années 2016 à 2018. Seront visés non seulement l’impôt sur les revenus et l’impôt sur la fortune (jusqu’au 1 er janvier 2017), mais également, le cas échéant, les droits de donation ou de succession. Seront appliquées en principe des pénalités au taux de 40 % du montant des impôts éludés ainsi que les amendes pour défaut de déclaration de compte à l’étranger, fixées à EUR 1’500 sur les quatre dernières années (mais EUR 20’000 en cas d’interposition de trust).
La question de l’origine des avoirs sera le sujet central de la procédure : en effet, en présence de comptes étrangers non déclarés, le fisc peut taxer tout crédit non justifié comme s’il s’agissait d’une donation octroyée par un tiers, imposable au taux de 60 %. Dans le cadre des procédures contentieuses UBS, il faut s’attendre à ce que l’administration recoure à cette prérogative en adressant une demande de justification de l’origine des avoirs, suivie d’une mise en demeure en cas d’absence de justification ou de justification considérée comme insuffisante (à défaut de preuves tangibles sur l’origine des fonds notamment).
Indépendamment, les dossiers donnant lieu à des rappels d’impôts supérieurs à EUR 100’000 seront transmis au Procureur de la République (conséquence de la fin du « verrou de Bercy » résultant de l’entrée en vigueur de la Loi du 23 octobre 2018), synonyme de risques supplémentaires et « collatéraux » pour l’ensemble des personnes impliquées dans le dossier (contribuable, conseil, fiduciaire, etc.).
Cependant, en anticipant les demandes de l’administration fiscale française par le dépôt spontané de déclarations rectificatives, il est encore possible d’éviter, pour l’essentiel, les conséquences les plus pénalisantes décrites plus haut.
En effet, même si la cellule de régularisation des comptes à l’étranger (STDR) a fermé ses portes le 1 er janvier 2018, il est toujours possible de déposer volontairement et spontanément des déclarations rectificatives intégrant notamment des comptes étrangers non déclarés.
Les déclarations porteront sur les années fiscales non prescrites, soit les dix dernières années lorsqu’il s’agit de comptes bancaires ou de contrats d’assurance-vie souscrits à l’étranger et non déclarés. Tout dépôt avant le 31 décembre 2019 devra donc intégrer les déclarations d’impôt sur le revenu 2009 à 2018, et, le cas échant, les déclarations d’impôt de solidarité sur la fortune 2009 à 2017.
Il convient également d’être en mesure de justifier l’origine des avoirs figurant sur le ou les comptes étrangers non déclarés, l’administration le demandant systématiquement. L’expérience nous montre toutefois que jusqu’à présent, la taxation au taux de 60 %, de par son caractère exorbitant, n’est appliquée par l’administration fiscale qu’en cas de demande d’informations ou de justifications préalable à tout dépôt de déclaration rectificative. L’on devrait donc pouvoir éviter cette imposition dérogatoire en cas de rectification spontanée.
Ce caractère spontané pourrait également présenter un atout considérable en cas de suite pénale du dossier fiscal. Rappelons en effet que le fisc a désormais l’obligation de transmettre au Procureur de la République tout dossier en sa possession entraînant des rappels de plus de EUR 100’000 assortis de pénalités exclusives de bonne foi (40%, 80 % ou 100 %). Le législateur a cependant opportunément exclu de cette obligation de transmission au Procureur les dossiers résultant de démarches spontanées de régularisation. L’administration a pu préciser dernièrement (BOI du 27 juin 2019) que « cette exclusion vise les contribuables qui spontanément déposent une ou plusieurs déclarations destinées à rectifier leur situation fiscale antérieure. A cet égard, ne constitue pas une démarche spontanée, le dépôt d’une déclaration rectificative (ou initiale) alors (i) qu’un contrôle fiscal est en cours, (ii) que le contribuable a reçu un avis de vérification ou (iii) qu’il fait l’objet d’une procédure d’enquête administrative ou judiciaire ».
Il est dès lors fondamental que les rectifications de déclarations interviennent avant que la DGFP n’adresse sa première demande d’information à raison expressément des avoirs bancaires étrangers.
Enfin, quant au fait qu’une demande d’assistance administrative internationale ait été adressée aux autorités fiscales suisses sans que les contribuables n’en aient été informés, elle ne devrait pas, selon nous, pouvoir être assimilée à une « procédure d’enquête administrative » expressément visée aux articles L 80 F à L 80 J, et L 16 B du livre des
procédures fiscales.
Contacts

Jean-Luc Bochatay
Genève
+41 22 849 60 40
jlbochatay@fbt.ch

Alain Moreau
Paris
+33 1 45 61 18 00
amoreau@fbt-avocats.fr
Nos publications
Clients français d’UBS: le compte à rebours a débuté
Jean-Luc Bochatay, Alain Moreau, Le Temps
La Suisse peut transmettre au fisc français 40 000 numéros de compte d’UBS
Jean-Luc Bochatay, Alain Moreau, Le Monde
Données à transmettre dans l’affaire UBS: conséquences en France
Jean-Luc Bochatay, Alain Moreau, Allnews
Genève
Rue du 31-Décembre 47
Case postale 6120
CH – 1211 Genève 6
Paris
4, avenue Hoche
F – 75008 Paris